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Sabine Azéma : Entrevue

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Rencontrée à la Berlinale au lendemain de la présentation officielle en Compétition d’AIMER, BOIRE ET CHANTER, Sabine Azéma évoquait la fougue d’Alain Resnais et la modernité de son cinéma. Complice du cinéaste depuis LA VIE EST UN ROMAN (1986), l’actrice le conjuguait encore au présent offrant maintenant à son oeuvre l’intemporalité qu’elle mérite.

AIMER, BOIRE ET CHANTER représentait-il un nouveau défi. - Le défi ne concerne qu’Alain Resnais. Pour moi je ne vois pas le défi ou alors il faut considérer chaque film comme un défi. Il faut ne pas décevoir dans le rôle : il faut jouer et plaire au metteur en scène d’abord et ensuite aux spectateurs. Mais ça s’arrête là. Le défi c’est pour Resnais qui invente une écriture cinématographique, une façon de tourner, une forme qui ici mêle, par exemple, les genres : faire encore un film qui va surprendre et qui va plaire.

Le film présente plus d’artificialité que COEUR ou même SMOKING/NO-SMOKING (deux autres adaptations par Resnais de pièces d’Alan Ayckbourn) au point de tendre à l’abstraction. Est-ce que cela influe sur votre manière de travailler ? - Ça ne change rien pour moi. Quand vous êtes acteur, il faut un oeil : le metteur en scène qui nous a choisi, la caméra ou une lumière. Le problème ce n’est pas qu’il y ait un décor – réaliste ou non –, que je joue un homme, un enfant ou une grand-mère : c’est que le metteur en scène m’engage.

aimer boire et chanter

Malgré son langage proprement cinématographique AIMER, BOIRE ET CHANTER joue avec la notion de théâtralité. Comment avez-vous appréhendé cela ? - Je ne pense jamais théâtre lorsque je suis filmée. Ce qui fait le théâtre, c’est la présence du public. Quand je joue, ce n’est pas parce que c’est un auteur de théâtre qui a écrit le scénario que c’est du théâtre. C’est une caméra qui me filme, moi et le décor. Ensuite il y a un montage. La base c’est un auteur de théâtre qui a écrit, point. Depuis la toute première fois où j’ai joué devant une caméra, je me sens à l’aise parce qu’il y a une intimité avec la caméra. Pour moi, il n’y a qu’un oeil : la caméra avec le metteur en scène. Le théâtre, c’est beaucoup de monde : la différence est là. Je n’ai aucune timidité face à la caméra, je peux aussi jouer en murmurant et tout va être perçu. On ne peut pas tricher avec une caméra. Le théâtre, ce n’est pas pareil.

La nature du film est tout de même singulière. - Mais c’est du spectacle : on ne fait pas croire qu’on est dans la réalité. Avec Resnais, on dit bien : « Attention Messieurs-dames on va vous présenter un spectacle ». On ne vous dit pas que c’est une histoire d’amour à laquelle vous devez croire : on vous dit que ce n’est pas vrai en vous invitant à jouer avec nous.

Il y a chez Resnais une grande modernité. Il a notamment intégré le numérique et les effets de « green key » avec lesquels il déstabilise le spectateur. - Merci d’en parler. Il cherche tout le temps à innover, à faire quelque chose qu’on n’aurait pas fait, à essayer… Et c’est culotté de faire ça parce que ça pourrait être rejeté. Il faut accepter de jouer, d’être troublé. C’est du Resnais pur. Il a un culot incroyable : il faut risquer. Et puis c’est moderne. Il faut se rendre compte qu’il a commencé le montage quand il était jeune et que les techniques ont complètement évolué. Ce qui le passionne ! C’est en cela qu’il est merveilleux car au lieu de se rebeller, il essaye de se servir de tout ce qui peut être nouveau ou différent.

C’est un puzzle, l’oeuvre de Resnais n’existe pas s’il manque un morceau.

Est-ce que la grammaire du numérique, à l’instar du « green key », change quelque chose en tant qu’actrice ? - Pas du tout. C’est ça qui m’amuse : lancez-moi quelque chose et faisons semblant de croire. J’adore cette phrase : « Faisons semblant de croire ». Du moment que j’ai l’oeil du magicien – la caméra et que je sens qu’elle bouge – le reste, c’est l’histoire d’y croire. On a fait ça pour VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU aussi : il y avait beaucoup de moments où on ne jouait que dans du vert. Ça ne me dérangeait pas du tout. Ce qui peut me déranger c’est de ne pas m’accorder avec le metteur en scène ou avec des partenaires.

Tendez-vous de film en film, avec Resnais, à un jeu qui prendrait son sens de ludique ? Le costume ferait-il place à un déguisement ? - Toujours avec Resnais. Mais je ne trouve pas que j’ai des déguisements dans le film. Ce sont des vêtements anglais achetés en Angleterre. Quand vous y allez vous vous rendez compte que les femmes portent beaucoup plus que chez nous des vêtements avec des fleurs – comme dans le film. Ils ont une autre façon de s’habiller mais je ne crois pas que ce soit du déguisement, pas du tout. Je dis souvent que l’habit fait le moine. J’avais joué dans LA CHAMBRE DES OFFICIERS une douce infirmière et alors que je suis incapable de faire ça dans ma vie et je me souviens de la réflexion d’une maquilleuse : « Sabine, qu’est-ce que vous êtes douce ». Mais ce n’est pas moi. Durant le tournage, j’étais vraiment comme ça à l’intérieur. Ce n’était pas du jeu.

Est-ce que vous envisagez vos films avec Resnais dans leur continuité ? - C’est un puzzle. C’est « l’oeuvre » de Resnais qui n’existe pas s’il manque un morceau. Je me refuse de répondre à la question de quel film de Resnais je préfère. C’est Resnais et c’est un tout. C’est comme ça que je vois son oeuvre. Avec des thèmes récurrents, avec un « rythme » : ce qui donne souvent la grande personnalité d’un cinéaste.

Sabine Azéma - Berinale 2014

Doit-on parler d’une troupe Resnais ou plutôt d’une famille ? - On a l’impression qu’à chaque fois c’est une troupe mais elle change. Caroline Silhol, c’est la première fois. Il y a des nouveaux ; il y des anciens qui ne sont plus là.

Y a-t-il un plaisir particulier à tourner avec Resnais ? - C’est le plaisir qu’il veut vous donner à vous spectateurs. Il y a des acteurs qu’on retrouve. Il y en a qu’on a vu il y a 25 ans et qui vieillissent en même temps que les spectateurs. C’est comme une famille. Resnais suscite un amour fou chez les autres. Certains ont un pouvoir pour attirer les autres ; pour se faire aimer : il en fait partie.

Comme Georges Riley dans le film ? - Sauf que je crois qu’il ne ressemble pas du tout à Georges Riley. Il ne laisserait pas sa maison dans cet état-là.

Bien qu’il n’apparaisse jamais dans le film, sa présence est constante. Ce qui est, en un sens, également le cas pour Resnais. - Bien sûr, c’est le fantôme qui veille sur nous. Sur l’affiche il est là comme un oiseau qui étend ses ailes autour de nous, sur nous ; qui nous dirige ; qui nous protège. Mais ce que les personnages disent de Georges Riley ne ressemble pas du tout à Resnais. Pas du tout.

Bien que le film soit très joyeux, la mort est toujours – et à nouveau – présente. - Toujours. Dans tous ses films je crois. Même PAS SUR LA BOUCHE. Il y a toujours un moment où l’on s’arrête pour dire que oui, la mort fait partie de la vie. C’est comme ça. D’ailleurs la photo qui apparait dans le film, « l’ange de la mort », c’est une photo de lui. Quand on voit les photos de Resnais – je ne sais pas si vous connaissez le livre qui s’appelle Repérages* – il y a toujours du mystère. Il n’évite pas la question. Tout comme il n’évite pas de dire que c’est une pièce de théâtre alors que moi, j’évite, je n’aime pas.

Je peux maintenant revoir les films dans lesquels je suis en oubliant un peu que c’est moi. C’est drôle.

Comme réagissez-vous lorsque l’on évoque la notion de « testament cinématographique », employée pour VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU et qui pourrait être reprise ici ? - C’est horrible. D’abord parce que c’est une société qui ne parle que de l’âge tout le temps. C’est vrai que plus vous avancez en âge et plus ça devient horrible. Mais ça veut dire quoi ? « Quand allez-vous mourir ? » Vous vous rendez compte ? C’est un oiseau qui est plein de mazout quand on vous met ça sur les ailes. Je ne trouve pas ça très élégant, de parler de son âge.

Vous arrive-t-il de revoir les films de Resnais ? - Oui, d’ailleurs je suis assez contente parce que je peux maintenant revoir les films dans lesquels je suis en oubliant un peu que c’est moi. C’est drôle. Ce n’est pas forcément moi.

Y a-t-il une performance dont vous êtes plus particulièrement fière ? - En général j’évite de me poser cette question. Ce serait peut-être le premier rôle, la « première fois » : quand vous sentez que vous avez été choisie. Je n’y avais même pas pensé qu’il vienne me chercher. Et vous vous dites qu’il ne faut pas louper la marche. J’étais consciente qu’il se jouait quelque chose d’important pour ma vie – parce que c’est important pour moi d’avoir participé à de belles oeuvres. Il est venu me chercher et je suis persuadée que c’était moi qu’il fallait prendre (rires). À ce moment-là. Ce n’était pas moi un an avant ou un an après : c’était pile le moment où il fallait me prendre pour jouer ça. Après, maintenant, quand je suis choisie par lui pour un film ce n’est plus une surprise totale. Qu’il ne me prenne pas serait une surprise épouvantable.

*Repérages, Alain Resnais (photographies) et Jorge Semprun (texte introdcutif), Ed. du Chêne, 1974

Aimer, boire et chanter - photocall - berlinale 2014

La critique du film : Cliquez ICI
L’interview de Sandrine Kiberlain : Cliquez ICI

Sabine Azéma - La vie est un roman

Aimer boire et chanter - affiche

Repérages - Alain Resnais - Couverture


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